Takao Tanabe: Biographie

Biogra­phie

Avec la per­mis­sion de Ian Thom

Pen­dant longtemps, Takao Tan­abe a été asso­cié avec le paysag­isme; toute­fois son approche à ce genre de matériel s’est mod­i­fiée rad­i­cale­ment au cours de sa longue car­rière. Reconnu actuelle­ment pour ses vastes paysages de la Côte Ouest et autres sites isolés ailleurs dans le monde, Tan­abe était éminem­ment reconnu dans les années soixante-dix comme le paysag­iste des Prairies. Ses images du monde naturel, sou­vent trou­blantes, sont les reflets de l’odyssée de décou­verte faite par Tan­abe à la fois en tant qu’artiste et en tant qu’observateur. Tan­abe est né en 1926 à Seal Cove, petit vil­lage de pêche près de Prince Rupert en Colombie-Britannique. Cana­dien d’ascendance japon­aise, Tan­abe et sa famille se trou­vaient parmi les familles for­cées à se « re-établir » au cours de la deux­ième guerre mon­di­ale. Plus tard, Tan­abe a démé­nagé de nou­veau pour rejoin­dre son frère à Win­nipeg. À la fin de la guerre, Tan­abe a tout de suite com­mencé ses études à la Win­nipeg School of Art, dirigé par l’artiste Lionel LeMoine FitzGer­ald. Tan­abe a étudié auprès de Joe Plas­kett qui est devenu un ami de longue date et un men­tor de grande enver­gure. Pour Tan­abe, l’influence de Plas­kett repo­sait moins sur le tra­vail de ce dernier que sur la manière dont Plas­kett menait sa vie. Plas­kett avait fait le choix de devenir artiste et de faire son chemin dans le monde, d’abord comme un artiste et à l’occasion comme enseignant. Tan­abe s’est rendu compte de l’importance de cette per­spec­tive, et de fait il n’a jamais tra­vaillé inten­sive­ment comme pro­fesseur d’art, gar­dant tou­jours en pri­or­ité sa pro­duc­tion artistique.

Après avoir obtenu son diplôme, Tan­abe a suivi des cours à l’Université du Man­i­toba, pour revenir à Van­cou­ver en 1949. Il s’est engagé dans une var­iété de pro­jets com­mer­ci­aux et s’est mis à dévelop­per sa car­rière. En 1951, suiv­ant l’exemple de Plas­kett, Tan­abe a fait des études auprès de Hans Hoff­mann à New York. Cepen­dant, il désir­ait aller en Europe et finale­ment a pu par­tir grâce au sou­tient d’une bourse Emily Carr qui lui a per­mis de voy­ager partout à tra­vers le con­ti­nent entre les années 1953 à 1955.

Tan­abe est revenu au Canada en 1955 et s’est dévoué à la réal­i­sa­tion d’œuvres dont les formes appar­ti­en­nent à l’expressionnisme abstrait; toute­fois ce sont des images imprégnées d’une touché plus lyrique et, notam­ment, font référence au monde naturel. Paysag­isme d’un lieu intérieur est typ­ique de la com­plex­ité de son tra­vail pen­dant cette péri­ode. L’image, con­stru­ite en couches denses, évoque la pro­fondeur et utilise vigoureuse­ment la couleur mais d’une manière bien con­trôlée. Les coups de pinceaux, décrivant un motif jaune, créent un effet de stac­cato qui sert à la fois à définir et à nier une sur­face amor­phe de blanc. Les formes dans le coin supérieur droit sug­gèrent, peut-être, des feuil­lages, mais l’œuvre se veut obscure, et pour Tan­abe elle doit appa­raître comme une abstraction.

Son intérêt pour l’abstraction, plutôt que pour le paysage en soi, con­tin­u­ait à dominer son tra­vail avec son retour en Colombie-Britannique en 1956. En 1959, avec l’assistance d’une bourse du Con­seil des arts du Canada, Tan­abe est allé passer un an au Japon afin de faire des études inten­sives auprès d’un pein­tre spé­cial­isé dans l’art du sumi. Cette dis­ci­pline, qui exige une con­cen­tra­tion intense et une exé­cu­tion rapide et déci­sive quant à la com­po­si­tion, allait bien lui servir quand plus tard il a repris le paysagisme.

Cepen­dant, il a con­tinué à pro­duire une série impor­tante d’abstractions, util­isant des couleurs somptueuses et des formes évo­ca­tri­ces tout en s’avançant — au milieu et à la fin des années soix­ante — vers l’abstraction hard edge. Sans titre No. 4 (1968) compte parmi ses œuvres de ce genre les plus austères. L’emploi de la couleur, du noir, du gris et du blanc est rigoureuse­ment con­traint et c’est une toile qui se définit plutôt par la forme que par l’émotion. Pour quelqu’un qui n’est pas pris par le motif, l’équilibre, les couleurs et la forme, l’œuvre né réus­sira pas. Par sa géométrie, Sans titre No. 4 né per­met aucun com­pro­mis et d’ailleurs Tan­abe l’a laissé sans titre pour éviter toute allusion.

En 1968, après avoir passé quelques années à Van­cou­ver à enseigner l’art com­mer­cial et la pein­ture à la Van­cou­ver School of Art, Tan­abe est parti à Philadel­phie et ensuite, à New York, pour s’y établir en 1969. Au début des années soixante-dix, sa pein­ture a subi une tran­si­tion majeure. Tan­abe avait passé du temps le long la val­lée de la riv­ière Hud­son, et, dans son stu­dio, il a conçu une approche au paysag­isme qui lui per­me­t­trait d’adhérer à ses ten­dances pour le mod­ernisme, tout en s’engageant à jeter un nou­veau regard sur le monde naturel. Tan­abe a util­isé la toile brute des pein­tres de ban­des de couleur en même temps q’une appli­ca­tion pré­cise de la pein­ture comme il le fai­sait pour ses pein­tures sumi, pour créer des images évo­ca­tri­ces du paysag­isme tout en retenant les formes de sa pein­ture abstraite. Dans The Land III [La Terre III] (1972), les images des champs situés sur une colline près de la riv­ière Hud­son sont sug­gérées, plutôt que représen­tées. La rigueur de son approche est d’autant plus évi­dente quand on souligne que Tan­abe a réal­isé ces toiles d’un seul jet. Il né repre­nait jamais un dessin une fois que le tra­vail avait été effec­tué en une seule séance. Tan­abe s’intéressait à l’évocation d’un paysage où la présence humaine restait rel­a­tive­ment min­ime. Il a décrit sa quête comme la recher­ché « d’un paysage par­fait »1 – d’une forme min­i­male, soigneuse­ment exé­cutée, et qui cherche ainsi à ren­dre l’essence du sujet.

À son retour au Canada en 1973, Tan­abe a accepté le poste de Chef du départe­ment des arts visuels et d’artiste en rési­dence à la Banff School of Fine Arts. Avec le béné­fice de son étape à Banff lors des années 1950, sous sa gérance, le pro­gramme des arts visuels a repris vigueur et s’est fait de nou­veau respecter. Ce poste d’artiste en rési­dence, qu’il a occupé jusqu’en 1980, lui a per­mis d’avoir son ate­lier et de passer un temps con­sid­érable dévoué à la pein­ture. Bien que de nom­breux artistes à Banff se con­cen­traient sur les paysages spec­tac­u­laires des Rocheuses, Tan­abe a choisi d’explorer les Prairies dont il était devenu fam­i­lier pen­dant ses séjours au Man­i­toba, et qu’il pou­vait observer lors de ses tra­jets habituels quand il voy­ageait pour l’école. Dans les années soixante-dix, Tan­abe a pro­duit une série de paysages des Prairies qui sont sans précé­dent dans l’histoire de l’art cana­dien. Réduits à deux élé­ments, la terre et le ciel, ce sont des images à la fois haute­ment évo­ca­tri­ces et d’une pré­ci­sion rigoureuse. Même si la divi­sion de l’espace reste très abstraite, Tan­abe réus­sit à nous con­va­in­cre de la vérité de sa vision par le con­trôle excep­tion­nel de la couleur et de la lumière. Par exem­ple, dans Prairie Hills 1/78 [Collines des Prairies1/78] (1978), la noirceur de la terre s’oppose à la lueur évanes­cente du ciel. L’image sem­ble être de toute sim­plic­ité, mais en réal­ité, c’est le résul­tat d’une appli­ca­tion pré­cise de la pein­ture et de l’utilisation min­i­male mais effi­cace de la couleur. La qual­ité de la lumière achevée par Tan­abe est une révéla­tion : les con­tours sub­tils de la terre sont bien défi­nis et le noir du paysage, en équili­bre avec la lumière du ciel, est serré et absolu.

En 1980, Tan­abe s’est installé défini­tive­ment sur l’Île de Van­cou­ver. Son choix de demeure lui offre une iso­la­tion suff­isante pour lui per­me­t­tre de dévouer le temps néces­saire à sa pein­ture, mais sa sit­u­a­tion près de la ville lui assure un con­tact régulier avec un monde artis­tique plus large. Son atten­tion est main­tenant tournée vers les paysages de la côte. Dans un autre con­texte, j’avais décrit Tan­abe comme « le poète du lit­toral océanique », et il est cer­tain que les images de cette côte, envelop­pée de brouil­lard, comptent parmi les plus frap­pantes de ses réal­i­sa­tions. Ce change­ment de loca­tion a mar­qué aussi un change­ment dans son approche à la pein­ture. La pein­ture, faite d’un seul jet, est rem­placée par une appli­ca­tion laborieuse de pein­ture en couches fines ¬– par­fois jusqu’à sept ou huit couches – pour obtenir une palette de couleurs par­ti­c­ulière­ment riches et intenses. C’est aussi le cas pour le min­i­mal­isme : Tan­abe a com­mencé par intro­duire dans ses paysages plus de détails, et par­fois une présence humaine. La pho­togra­phie, qui avait con­tribué en large mesure à la réal­i­sa­tion de ses derniers tableaux des prairies, a com­mencé à jouer un rôle plus impor­tant dans les proces­sus de tra­vail de Tan­abe, ser­vant de source de matériel pour ce phénomèné de dis­til­la­tion qui fait parti de toute sa pein­ture. Il serait dif­fi­cile d’isoler une pein­ture en par­ti­c­ulier dans cette remar­quable série de paysages. Low Tide 1/94; Hes­quiat Bay [Marée basse 1/94 La baie de Hes­quiat] doit être l’une des plus achevées. L’image est frap­pante par son man­qué de « con­tenu » et aussi pour la richesse excep­tion­nelle de la vision de l’artiste. La marée basse, comme l’eau elle-même, nous emporte petit à petit. Ce n’est qu’avec le pas­sage du temps que nous nous ren­dons compte de la puis­sance excep­tion­nelle de la com­po­si­tion. Une accu­mu­la­tion d’une mul­ti­tude de petits détails, soigneuse­ment dépeints, devient un paysage visuel plaisant à con­tem­pler, sat­is­faisant par sa struc­ture formelle, et qui souligne la pro­fondeur des pou­voirs d’observation de Tan­abe. Il né se passé rien dans ce paysage, il y a seule­ment la qual­ité atmo­sphérique de la lumière et l’atmosphère imprégnée d’humidité. Tan­abe s’est servi de tout son savoir-faire, de toutes ses com­pé­tences en tant que pein­tre pour réaliser cette image, et c’est une réus­site écla­tante. Au cours des deux dernières décen­nies, Tan­abe a con­tinué à explorer d’autres paysages partout en Colombie-Britannique et dans le monde. Ces images, tirées de ses pro­pres pho­togra­phies, ont en com­mun une atten­tion sin­gulière à la com­po­si­tion, une pro­fonde com­préhen­sion de la lumière et une qual­ité qui dépassé les lim­i­ta­tions tem­porelles et font passer de la sim­ple obser­va­tion à un état plus médi­tatif. Pour arriver au paysag­isme, la route n’a pas été directe. En fait, on pour­rait dire que pour une grande par­tie de sa car­rière, Tan­abe a choisi d’éviter ce chemin. Cepen­dant, je crois que Joe Plas­kett, son ami de longue date, avait rai­son quand il a remar­qué que « Tan­abe ressent les paysages et la nature. C’est un paysag­iste de nature »2 .

  1. En con­ver­sa­tion avec l’auteur, le 17 décem­bre, 2002. []
  2. De Takao Tan­abe : Paint­ings and Draw­ings 1954–57 (Van­cou­ver: Van­cou­ver Art Gallery, 1957), nom­bre de pages non disponible. []